ville est candidate pour accueillir un pôle national des biotechnologies blanches financé par le Grand emprunt. Pour Pierre Monsan, professeur et chercheur à l’Insa au laboratoire LISBP (1), en charge du dossier, Toulouse a ses chances, à condition d’offrir des perspectives scientifiques mais aussi économiques.
L’Inra a désigné Toulouse comme pôle d’excellence dans le domaine des biotechnologies « blanches » ? Que sont-elles ? Les biotechnologies ont-elles des couleurs ?
Les couleurs des biotechnologies, c’est pour parler aux investisseurs ! Pendant des années, ils ont misé sur les biotechnologies « rouges », celles de la santé, puis « vertes », celles des plantes, et notamment des OGM, qui ont été plus ou moins bien acceptés selon les pays.
Aujourd’hui, on leur propose de financer des biotechnologies « blanches », c’est-à-dire celles qui transforment par exemple des déchets végétaux en produits, au cours de cycles industriels très peu émetteurs de CO2. Il y a derrière ce terme de « blanc » une certaine idée de pureté…
Comment fonctionnent les biotechnologies blanches et que produisent-elles ?
On fait travailler des microorganismes qui sont des bactéries ou des levures, ou des enzymes, qui sont des molécules biologiques. Aux premiers, on fait notamment produire des biocarburants (2). Mais on peut aussi, grâce aux biotechnologies blanches, fabriquer de nombreuses matières premières qui remplacent les dérivés du pétrole. Tout cela avec un impact moindre sur l’environnement car cela se fait, au contraire de la chimie classique, dans des conditions de pH assez neutre et à température modérée.
Pourquoi Toulouse a-t-elle été désignée pôle d’excellence ?
Parce que le LISBP a quarante ans d’expérience dans ce domaine ! Il compte 250 personnes dont beaucoup ont l’expérience de l’interface entre la recherche et l’industrie. Des sociétés de biotechnologies ont essaimé du laboratoire dès les années 80.
Notre avantage est aussi de travailler à toutes les échelles : au niveau moléculaire, pour étudier la conformation des enzymes ; au niveau des microorganismes, pour déchiffrer et modifier leur génome ; et enfin au niveau macroscopique, puisque nous avons au laboratoire des fermenteurs « pilotes » pour étudier le passage aux conditions industrielles.
A quoi ressemblerait ce pôle d’excellence ?
Il y aurait un bâtiment dédié, qui accueillerait côte-à-côte la recherche, y compris des équipes de chercheurs invitées du monde entier, et les start-up issues de cette recherche. Le travail se ferait en synergie avec des instituts toulousains comme l’IMT ou l’IRIT, qui ont les capacités pour effectuer les calculs mathématiques et informatiques nécessaires pour modéliser les réactions complexes qui se produisent lors des processus de fermentation par les microorganismes. Et bien sûr avec Génotoul, auquel nous appartenons déjà avec notre plateforme « puces à ADN ».
Mais nous collaborerions aussi avec d’autres équipes dans le domaine de la chimie, du génie des procédés, de l’économie et des sciences sociales… Quant à l’investissement pour l’ensemble, environ 100 millions d’euros seraient nécessaires.
Quand sera-t-on fixé ?
A la fin de 2010, Toulouse peut devenir le centre français des biotechnologies blanches. Mais nous devrons compter avec la concurrence d’autres régions. L’évaluation se fera sur des critères d’excellence scientifique, mais aussi de retombées économiques que nous devrons prouver, et de la volonté d’investir des acteurs publics et privés.
Le but est-il d’aller vers la substitution à 100% du pétrole par des produits issus des biotechnologies blanches ?
Cela n’a aucun sens actuellement. L’ampleur de la substitution sera conditionnée par le prix du baril de pétrole. S’il est relativement bon marché, comme aujourd’hui, la substitution totale n’intéresse pas les industriels.
En revanche, il y a la possibilité d’innover, c’est-à-dire de créer de nouveaux produits à partir des biotechnologies blanches. Ainsi, au LISBP nous nous intéressons aux flores bactériennes intestinales des animaux ou des insectes, dont certaines bactéries sont capables de transformer la lignocellulose (3). Nous connaissons mal ces microorganismes et il y a là de nouvelles voies de synthèse biologique à découvrir.
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour Kwantik !
(1) LISBP : Laboratoire ingénierie des systèmes biologiques et des procédés
(2) Les biocarburants dits de « première génération » sont fabriqués à partir de la production agricole, par exemple de l’amidon de maïs ou du sucre de canne, pour obtenir de l’éthanol. Mais ils posent un problème de surface cultivable disponible et peut-être d’ici quelques années de pression sur les ressources alimentaires. Les biocarburants de « deuxième génération » sont produits à partir des déchets de l’agriculture (feuilles, tiges, pulpe…) ou de bois. Quant à la « troisième génération », encore au stade expérimental, il s’agit par exemple de « biokérosène » produit à partir de micro-algues.
(3) Longues molécules qui constituent la structure rigide des végétaux