Astrophysicien au CEA, Roland Lehoucq décrypte la physique mise en scène dans les films, la BD et les romans. Au Festival d’astronomie de Fleurance, le 12 août prochain, il analysera le monde d’Avatar sous le prisme du réalisme scientifique.
Vous utilisez les œuvres de fiction pour parler de sciences. Pouvez-vous expliquer votre démarche ?
Il s’agit d’abord de montrer ce qui marche et ce qui ne marche pas dans la fiction, pour se demander ensuite : que nous manque-t-il quand cela ne marche pas ? A-t-on besoin d’une physique qu’on ne connaît pas encore, ou bien est-ce juste très difficile à faire – comme les vaisseaux interstellaires, probablement pas réalisables avant plusieurs siècles, mais pour lesquels la physique nécessaire est déjà disponible ?
Autre intérêt de ces mondes imaginaires : on peut y mener une enquête pour essayer d’en déduire des informations par leur simple observation. Ainsi, dans l’album Le Temple du soleil de la série Tintin de Hergé, il y a une éclipse totale de Soleil qui sauve les héros situés en Amérique latine. De ce que l’on voit dans l’album, puis-je déduire la position de ce temple ?
En quoi cette démarche se rapproche-t-elle de celle de l’astrophysicien ?
L’astrophysicien observe le ciel avec des instruments qui captent la lumière des astres. Il va essayer grâce à la physique terrestre, élaborée en laboratoire, de construire un scénario qui rende compte des phénomènes observés.
Quand je regarde Star Wars, j’applique la même méthode : j’essaie d’élaborer un scénario qui soit le plus cohérent possible avec notre physique d’ici et de maintenant.
Qu’est-ce qui n’est absolument pas crédible dans les œuvres de fiction ?
Voyager dans le temps ! Dans un univers habituel avec une géométrie habituelle, cela suppose de dépasser la vitesse de la lumière, ce qui est totalement impossible. Dans un univers où l’espace pourrait être courbé, on peut imaginer des voyages dans le temps sans dépasser la vitesse de la lumière.
Mais selon certains physiciens comme Stephen Hawking, de telles machines à remonter le temps s’autodétruiraient instantanément, à cause d’une sorte d’ « effet Larsen »…
Les vaisseaux de Star Wars qui se déplacent au-delà de la vitesse de la lumière, c’est donc inimaginable ?
Ces vaisseaux passent par « l’hyper espace », une sorte de raccourci spatio-temporel qui donne l’impression à des gens restés dans l’espace normal qu’ils se sont déplacés plus vite que la lumière.
C’est une possibilité théoriquement compréhensible grâce à la théorie de la relativité générale d’Einstein publiée en 1915 : on peut donner l’impression à un observateur lointain qu’on se déplace plus vite que la vitesse de la lumière, alors que localement, vous vous déplacez moins vite.
Quid du sabre laser des Jedi ?
Impossible tel qu’on nous le montre, pour deux raisons. Lorsque deux faisceaux lasers se croisent, ils ne se bloquent pas l’un l’autre. De plus, la lumière part en ligne droite jusqu’à rencontrer un obstacle, elle ne peut pas s’arrêter à 1m20.
Mais pour notre partie enquête, on peut estimer la puissance dépensée par un sabre laser, quand on voit un Jedi perçant une porte blindée avec son sabre laser : 3 gigawatts, soit l’équivalent de trois centrales nucléaires… qui tiennent dans le manche du sabre.
Le monde d’Avatar est-il plus crédible que celui de Star Wars ?
Incontestablement. L’avatar lui-même, le mélange d’ADN, les montagnes flottantes ne marchent pas sur un plan scientifique, mais d’un point de vue biologique (animaux, êtres vivants) c’est plutôt bien fait. Le vaisseau interstellaire et le système planétaire sont assez bien conçus. Des efforts de documentation ont dû être réalisés pour que tout cela semble plausible.
Il y a toutefois un doute sur la planète Pandora qui, parce qu’elle est en orbite autour de la géante gazeuse Polyphème, devrait plutôt être éruptive du fait des forces de marée considérables.
Quelles sont les œuvres de fiction les plus aberrantes d’un point de vue scientifique ?
Le film « Fusion : The Core », l’histoire d’un « sous-marin » qui doit atteindre le centre de la Terre car son coeur s’est arrêté de tourner. Tout est mauvais !
Dans la même veine, Sunshine, dont le pré-requis – le Soleil s’éteint – est impossible. Quant à l’effet de la bombe nucléaire que les astronautes vont placer sur le Soleil pour le rallumer, il serait en réalité tout à fait négligeable : en 1 millionième de seconde, le Soleil produit autant d’énergie que ce que toute l’humanité en consomme en une année !