Patrick Tort est exténué. C’est bientôt la fin de l’« Année Darwin », qui célèbre le 200ème anniversaire de la naissance du naturaliste anglais Charles Darwin et le 150ème anniversaire de la publication de son livre fondateur, L’Origine des espèces, qui explique le mécanisme de l’évolution des êtres vivants par la sélection naturelle. Spécialiste de Darwin, Patrick Tort a donné des dizaines de conférences dans toute la France.
C’est à Puycelsi, dans le Tarn, qu’il se ressource à l’Institut Charles Darwin International qu’il a fondé dans une maison ancienne de ce très beau village, dans le but d’étudier et de faire vivre l’œuvre considérable du grand naturaliste. Ainsi, il vient de faire publier sous sa direction, le 1er octobre dernier, L’Origine des espèces (1) dans sa version la plus fidèle, traduite en français avec soin puisque, explique-t-il, les traductions précédentes avaient déformé le texte original.
Philosophe de formation, spécialiste d’épistémologie, l’homme est un cas à part. A commencer par son apparence. Abondante chevelure, ample tunique noire retenue par un gros camée, pantalon et bottes assortis… Il déclare pourtant ne pas jouer un personnage. Patrick Tort explique n’aimer que les vêtements amples, mieux à même de lui faire supporter la chaleur, qu’il déteste.
Mais son apparence doit sans doute aussi au fait qu’il vit sincèrement dans trois siècles différents : le XVIIIème, celui de Diderot et des autres encyclopédistes dont il se revendique, le XIXème, celui de Darwin et de la séparation entre science et religion, et le XXIème, puisqu’il dispose de deux sites web (2) pour diffuser ses travaux vers le public.
La « survie du plus fort » a justifié tous les excès
« Lire Darwin est à la portée de tous, il n’y a aucune complexité, très peu de termes techniques, c’est presque de la vulgarisation scientifique », souligne-t-il. Une lecture qui, pour Patrick Tort, est un bon garde-fou pour se protéger de ce qu’il combat sans relâche : une interprétation de Darwin et de la sélection naturelle réduite à « la survie du plus fort », et qui a servi a justifier les excès de la sociobiologie et d’une économie ultra-libérale. « Darwin montre au contraire que chez l’homme, la civilisation, avec des valeurs comme la solidarité, est issue de la sélection naturelle, et s’oppose à celle-ci ». Ces arguments se trouvent dans La filiation de l’homme, un autre ouvrage majeur mais mal connu de Darwin qu’il compte faire prochainement republier.
Son bilan de cette année Darwin, qui a généré de multiples manifestations dans le monde ? « Un énorme impact dans le public. Mais les adversaires de Darwin ne désarment jamais ». Entendez tous ceux qui propagent l’idée que les espèces vivantes sont immuables et issues de la volonté d’un « créateur ». Vigilant défenseur, mais « pas inconditionnel » de Darwin comme certains le lui reprochent pourtant, Patrick Tort continuera à étudier l’œuvre du naturaliste et à la faire connaître au public, tout en accueillant des chercheurs en résidence dans son institut à Puycelsi, décoré par ses soins dans le style XIXème… On s’y croit vraiment à l’époque de Darwin !
Le philosophe mijote aussi un projet ambitieux : la reproduction grandeur nature du Beagle, le bateau avec lequel Darwin voyagea jusqu’aux Galapagos, pour une expédition qui mêlerait biologie – comparer le milieu naturel décrit par Darwin au milieu actuel – et société, avec la rencontre des populations des régions traversées. Car on l’a compris, pour Patrick Tort, évolution et réflexion sur l’humanité sont indissociables.
Jean-François Haït, pour Kwantik !
1) L’origine des espèces, sous la direction de Patrick Tort, édition Champion Classiques
2) www.darwinisme.org et www.patrick-tort.org, avec une bibliographie complète