La géochimiste du LMTG a passé six semaines sur le Chikyu, un bateau-foreur géant, dans une ambiance de travail à la japonaise. Une aventure scientifique hors du temps dont les résultats, présentés fin octobre, contribueront avec ceux de futures missions à la prévention des séismes.
« Christine-san, il ne faut pas courir ! ». Chistine Destrigneville, géochimiste au Laboratoire des Mécanismes de Transfert en Géologie (Observatoire Midi-Pyrénées), n’avait pourtant que peu de temps pour récupérer sa carotte de sédiments, extraite à plus de 2000 m de profondeur sous la mer et dont le haut-parleur venait d’annoncer la remontée sur le pont. Mais le chef de projet japonais, malgré la marque de respect (« san »), venait de rappeler à la scientifique française qu’à bord du Chikyu, la discipline prévaut et qu’aucun écart n’est possible.
Au vu des caractéristiques de l’engin, on pourrait le comprendre. Près de 210 m de long, un derrick de 70 m de haut qui permet d’assembler des tronçons de tubes de 27 m pour atteindre le fond de l’océan avant de percer la croûte terrestre, jusqu’à plus de 1 km… Le Chikyu (« La Terre », en Japonais) est, avec le JOIDES Resolution américain, le plus gros navire de forage scientifique du monde.
Il est aussi un hôtel où jusqu’à 200 personnes, dont une trentaine de scientifiques étrangers invités, ont leurs quartiers d’habitation, en même temps qu’un laboratoire doté d’équipements de pointe – spectromètre de masse et scanner. A bord, l’activité ne cesse jamais : les deux équipes midi-minuit et minuit-midi assurent le forage en continu.
Des sédiments qui aggravent le risque de séisme
Christine Destrigneville y a été invitée, après que le projet scientifique qu’elle a présenté ait été jugé solide par une commission de sélection. Car pour accéder à un tel équipement on se bouscule. Mais le jeu en vaut la chandelle : atteindre les couches profondes de la croûte terrestre, d’ordinaire inaccessibles, pour en remonter de précieux échantillons.
Pour cette mission baptisée Nantroseize qui s’est déroulée du 4 septembre au 10 octobre 2009, le Chikyu était positionné à 200 km des côtes du sud du Japon, là où la plaque tectonique des Philippines plonge sous la plaque eurasienne. A leur contact, une faille s’est formée, qui entraîne un risque de tremblement de terre très élevé.
La chercheuse toulousaine s’est intéressée aux sédiments qui s’accumulent à l’entrée de cette zone, et plus particulièrement à l’eau qu’ils contiennent. Car lorsque ces sédiments passent sous une plaque, ceux-ci sont comprimés et chauffés. Ils libèrent alors leur eau ce qui peut avoir pour effet d’élargir la faille et d’augmenter le risque de séisme. Le dosage de certains éléments chimiques dans les sédiments récupérés dans les carottes peut permettre de dire s’ils ont ou non expulsé leur eau.
Sur le Chikyu, Christine Destrigneville a patiemment préparé ces sédiments pour les analyser, dans des conditions de travail idéales. « Tous nos besoins sont pris en charge. On a la chance de pouvoir se consacrer entièrement à la science » souligne-t-elle.
Ambiance de travail à la japonaise
Au prix toutefois de contraintes assez rigides. Certes, la géochimiste est loin d’avoir connu la descente aux enfers que subit la jeune « Amélie-san » dans une entreprise nipponne, aventure autobiographique d’Amélie Nothomb relatée dans son roman Stupeur et tremblements. Mais elle expérimenté certains aspects d’une ambiance de travail à la japonaise, avec des codes différents des nôtres. « On ne se touche pas. Une petite accolade, cela ne se fait pas. On ne se serre même pas la main ». Le jacuzzi du bord est réservé six jours pour les hommes, un pour les femmes… Seule la plate-forme hélicoptère, qui sert de cour de récréation, permet à chacun de se dégourdir les jambes.
L’organisation des tâches aussi est extrêmement structurée et hiérarchique. Difficile de convaincre un technicien de l’aider à faire la vaisselle du matériel scientifique si celui-ci en a reçu la mission. Et si l’on veut changer un tant soit peu le programme, cela se révèle un vrai casse-tête. « Il faut envoyer un courrier officiel à la direction de l’organisme qui gère le bateau et attendre l’autorisation, parfois longtemps alors que le temps presse ».
Mais contrairement au best-seller très exagéré de la romancière belge, la collaboration entre chercheurs est forte et la convivialité réelle. Ainsi, le co-responsable scientifique japonais Sanny Saito est aussi… un maître de thé qui a initié les scientifiques étrangers à la fameuse cérémonie.
D’autres forages nécessaires
Au total, six semaines de travail intense avec une profondeur de forage de près de 600 m ont rapporté une riche moisson d’échantillons, qui ont nécessité une longue analyse. Christine Destrigneville en a présenté les premiers résultats lors de la Réunion des sciences de la Terre qui s’est tenue à Bordeaux du 25 au 29 octobre dernier. Sur deux forages réalisés (dont un interrompu pour cause de rencontre avec une roche très dure), l’un a livré des sédiments qui semblent expulser de l’eau, l’autre pas.
Pour en avoir le cœur net, d’autres forages seront nécessaires à un autre emplacement. Ce sera l’objet d’une nouvelle mission Nantroseize en décembre prochain, qui forera jusqu’à 1200m de profondeur dans les sédiments. Christine Destrigneville ne sera pas du voyage. En suivant la mission depuis son laboratoire, elle se souviendra de son séjour sur le Chikyu comme d’une d’une « parenthèse scientifique et humaine exceptionnelle ».