Accéder à la culture scientifique en dehors de Toulouse, c’est possible. Philippe Reveillon, de l’association Les chemins buissonniers, explique comment le mariage entre art et science peut attirer un public a priori exclu de la culture scientifique, et bâtit un projet pour amener ce public vers des conférences purement scientifiques.
L’association Les chemins buissonniers (1) démarre sa saison 2010 avec un programme consacré au cerveau dans tous ses états, et toujours en associant scientifiques et artistes. Pourquoi cette démarche ?
La science et l’art doivent aider à s’inscrire dans une pensée consciente et critique par rapport au monde. Ces deux univers avaient divergé à l’époque des Lumières, alors que leur fond commun, c’est l’imagination.
Le fil conducteur de l’association, que j’ai fondée en 1999 en tant que simple citoyen – j’ai été électricien puis créateur de décors de spectacles – est donc de réunir la science et l’art. Lors de nos manifestations, les scientifiques intervenants parlent avec jubilation de leurs travaux, ils créent avec autant de plaisir que les artistes. C’est ce plaisir que nous voulons faire partager.
A qui vous adressez-vous ?
Nous sommes basés à Rieumes, à 40km au sud-ouest de Toulouse, et nous agissons essentiellement en milieu rural. Nous visons donc un public éloigné des lieux de culture scientifique. Par la distance géographique bien sûr, car il n’est pas simple de venir à Toulouse pour une conférence quand on habite à 40 km.
Mais aussi par la distance culturelle : il y a le sentiment que la science est réservée à une élite, qu’on ne la comprendra pas. De plus, science est associée à technoscience, c’est-à-dire à des applications immédiates, alors que la science contribue à la construction de la pensée humaine.
En quoi consistent vos activités ?
Nous donnons des conférences-spectacles, dans des lieux très variés. Une vingtaine sont prévus cette année entre Ramonville, Muret, Launaguet, Toulouse… et les communes aux alentours de Rieumes.
Nous intervenons également en milieu scolaire, pour faire découvrir la science à travers le sensible, par exemple sous forme d’ateliers chorégraphiques. Nous avons ainsi monté des ateliers inter-générationnels sur le thème de la mémoire, où jeunes et anciens devaient se remémorer leurs souvenirs, qui étaient transcrits en actes chorégraphiques, alors que deux chercheuses en neurosciences montraient le lien entre cognition et mémoire corporelle.
Cette année, nous démarrons aussi des « mercredis de la science » accessibles aux enfants qui le souhaitent dans les collèges.
Pourriez-vous proposer des conférences purement scientifiques à votre public ?
Oui, et nous voulons pour cela créer cette année un Pôle art et sciences en milieu rural, en y associant des institutions scientifiques et des collectivités. Car après avoir attiré notre public grâce à des spectacles « art et sciences », nous voudrions le pousser plus loin, vers des conférences exclusivement scientifiques. Le futur pôle est davantage un concept qu’un lieu, l’idée étant notamment de faciliter l’accès à de telles conférences.
Ainsi, chaque mois, nous proposons à Rieumes du « cinéma scientifique », avec la projection d’un film suivi d’un débat avec un chercheur. Le problème, c’est que les habitants des petites communes alentour ne viennent pas. Ils ne sont pourtant pas bien loin, mais à la campagne, on ne se déplace pas comme à la ville, en particulier pour les personnes âgées qui ne sortent guère le soir.
Nous avons donc imaginé un système où on projette le film simultanément dans plusieurs villages, puis le public peut dialoguer en visioconférence avec le chercheur qui intervient à Rieumes. Nous allons tester ce dispositif, avec le soutien de la communauté de communes du Savès et l’intercommunalité « Pays du sud toulousain ». Ensuite, il serait intéressant de diffuser les conférences qui se tiennent à Toulouse, comme par exemple les soirées scientifiques de l’Observatoire Midi-Pyrénées.
Que pensez-vous de l’offre de culture scientifique en Midi-Pyrénées, hors Toulouse ?
Elle existe, avec notamment des structures comme le CCSTI (2) du Lot, ou encore les expositions itinérantes de l’association Science animation, et il y a un certain nombre d’associations plus petites, mais tout cela est assez diffus. La Ville de Toulouse affiche sa volonté de regrouper la culture scientifique au sein d’un pôle fort, il serait intéressant que les élus des communautés de communes s’en inspirent et se fédèrent.
Mais d’une manière générale, les activités de culture scientifique sont bridées par les problèmes de financement, surtout en milieu rural où les coûts de déplacement sont élevés. Ce que nous faisons relève du militantisme !
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour KwantiK !
Le site des chemins buissonniers avec l’agenda des manifestations
(1) Les chemins buissonniers est un club CNRS – Unesco
(2) Centre de culture scientifique, technique et industrielle