L’Académie des sciences tient sa séance publique à Toulouse le 11 mai. Jean Salençon, son président, explique les raisons de cette décentralisation et souligne le rôle actuel de cette institution tricentenaire dans l’enseignement des sciences
L’Académie des sciences quitte les bords de Seine pour se déplacer en région Midi-Pyrénées. Pourquoi ?
Il est prévu dans les statuts de l’Académie qu’elle peut tenir séance en région. C’est ce que nous faisons régulièrement depuis 1996. En effet, nous avions des remarques de scientifiques qui considéraient l’Académie comme trop parisienne !
Ce déplacement est l’occasion de faire connaître l’Académie en dehors de Paris, d’aller à la rencontre des communautés scientifiques régionales, et de mieux appréhender les aspects économiques et industriels régionaux. C’est ce que nous ferons en visitant notamment Airbus et le Centre Pierre Potier (1).
Que va-t-il se passer pour le public régional ?
Nous tiendrons notre séance publique le mardi, comme de coutume. Des scientifiques, académiciens ou non, présenteront leurs travaux (voir programme). Habituellement, la séance publique comporte deux sortes d’intervention : « les défis scientifiques du XXIème siècle », qui sont des exposés de trois quarts d’heure sur des sujets scientifiques chauds, donnent lieu à des questions des scientifiques et du public ; ou des conférences-débats avec plusieurs intervenants sur des thématiques données, qui sont plutôt destinés aux spécialistes du domaine.
A Toulouse, je précise que les conférences qui seront données s’adressent à un public non spécialiste, mais qu’on peut qualifier de scientifiquement averti.
Combien y a–t-il d’académiciens aujourd’hui ?
Il y en a 237 – le maximum possible est 250 – dont vingt femmes. La première a été élue en 1979, et quinze nous ont rejoint depuis 2002. On progresse donc sur ce point.
En quoi consiste le travail d’un académicien ?
C’est très variable et peut, notamment, dépendre de l’âge. En effet, depuis dix ans, la moitié des membres élus doit avoir moins de 55 ans. Ces chercheurs passent donc naturellement beaucoup de temps dans leur laboratoire et moins en séance publique.
Mais ils peuvent, comme tous les académiciens participer à la rédaction de rapports, qui est une activité importante de l’Académie. Soit elle est saisie par un ministère, soit elle s’auto-saisit d’un sujet scientifique important, avec l’idée d’être toujours en avance sur l’actualité. Le dernier rapport porte par exemple sur le problème de la conservation des données numériques dans le futur. Nous en produisons deux à trois par an.
Le mercredi 12 est une journée de travail consacrée notamment à l’enseignement des sciences. Quel rôle joue l’Académie dans ce domaine ?
Elle s’implique fortement depuis 1996, année de la création de l’initiative La main à la pâte par le prix Nobel Georges Charpak et ses confrères académiciens Yves Quéré et Pierre Léna, qui vise à proposer des méthodes pédagogiques basées sur l’expérimentation et la découverte. L’Académie gère les moyens en personnel et la mise en œuvre de cette initiative. Elle a débuté à l’école primaire, puis il y a environ 5 ans au collège.
L’initiative a aussi essaimé à l’étranger, par exemple en Afrique et en Amérique latine où elle est devenue « la mano en la masa » ! Cet essaimage doit continuer et je viens de signer en ce sens une convention avec le ministère des Affaires étrangères et européennes.
Actuellement, une violente controverse oppose dans les médias certains scientifiques, Claude Allègre et Vincent Courtillot, tous deux académiciens, à de nombreux climatologues, dont certains également académiciens, au sujet du réchauffement climatique. Cela porte-t-il préjudice à l’Académie ?
Ce qui se passe actuellement nuit à l’image de la science tout entière. Il y aura un débat à l’Académie, mais uniquement scientifique. Nous sommes en train de l’organiser, il faudra qu’il se tienne relativement rapidement. Pour autant, un débat chez nous, ce n’est pas nouveau. Pasteur et Pouchet s’y sont affrontés dans leur célèbre controverse (2). Mais tout ceci devra se passer dans la sérénité !
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour KwantiK !
(1) Le centre Pierre Potier, situé sur le site du Toulouse Cancer Campus, regroupe des plateformes de recherche en sciences du vivant et une pépinière d’entreprises.
(2) Au milieu du XIXème siècle, le chimiste Pouchet défendait contre Pasteur la thèse de la « génération spontanée », c’est-à-dire la naissance de la vie, notamment microbienne, à partir de matière inanimée.