Pour Jacques Lefrançois, docteur en génétique et professeur de philosophie à l’université Paul-Sabatier, Craig Venter, le chercheur américain qui a fabriqué une bactérie à génome synthétique, n’a pas créé la vie mais un organisme synthétique recopiant des structures existantes légèrement modifiées. La technique employée repose toutefois la question de la propriété intellectuelle sur le vivant.
Le généticien américain Craig Venter a annoncé avoir créé avec son équipe la première bactérie dotée d’un génome entièrement synthétique (1). Qu’a-t-il réalisé exactement ?
Il a copié, par des techniques purement chimiques, le chromosome d’une bactérie connue, Mycoplasma mycoides, dont il n’a gardé que les gènes strictement nécessaires. Il a ajouté à cette construction des séquences particulières, comparables aux filigranes des billets de banque, permettant de la reconnaître sans ambigüité.
Enfin, le génome synthétique a été transplanté dans une bactérie d’une autre espèce, Mycoplasma capricolum. En se divisant, cette dernière bactérie a exprimé le génome synthétique, c’est-à-dire que les gènes sont devenus actifs, ont produit des protéines, etc.
La bactérie est donc devenue une nouvelle espèce capable de se reproduire, très semblable à la Mycoplasma mycoides naturelle mais identifiable par ses différences programmées.
A-t-il créé la vie ?
Non, et d’ailleurs il n’est pas certain que la vie ait un rapport avec une création quelconque. Ce que l’on sait, c’est qu’elle est le résultat d’une longue histoire.
Craig Venter, dans ses efforts pour se substituer à la Nature, doit faire ce que la Nature fait déjà : travailler sur ce qui existe. Il copie des séquences de gènes issues d’un processus évolutif très long, qui implique des mutations et la sélection naturelle.
Mais une forme de vie obtenue « ex-nihilo » n’est pas envisageable. Il faudrait un énorme coup de chance pour tomber sur un génome fonctionnel étant donné les milliards de combinaisons possibles. En fait, le hasard dans la Nature remanie toujours quelque chose d’existant.
S’il n’a pas créé la vie, qu’implique sa démarche, sur le plan philosophique ?
Le chromosome synthétique est une machine. Or, il fait exactement le même travail que le chromosome naturel. Venter démontre finalement que la vie, à cette échelle, c’est de la cybernétique. Ceci frappe forcément l’imagination.
Il y a là quelque chose d’irréversible, un peu comme quand Galilée démontrait que l’Homme n’était pas au centre de l’Univers. La vie n’est donc pas l’insufflation d’une âme, ou un souffle quelconque, mais un mécanisme qu’on peut reproduire en laboratoire.
Quel est l’intérêt de la biologie synthétique, puisqu’il s’agit de copie ?
Venter fait miroiter de nombreuses applications, mais il y a surtout un non-dit dans son travail. En effet, il est l’homme qui a largement contribué au séquençage du génome humain, et a tenté de prendre des brevets sur ce génome. Or, la question de la brevetabilité du vivant pose problème.
Car un gène n’est pas une invention, c’est une découverte de ce qui existait dans la Nature avant tout artifice et indépendamment d’une quelconque « création ». La modification en est possible mais le modèle naturel est incontournable… La biologie synthétique repose la question de la propriété intellectuelle.
En effet, on ne peut pas dire qu’une espèce fabriquée existait auparavant, même s’il y a eu copie de gènes naturels. Sur le plan juridique, les structures synthétiques pourraient donc être considérées comme des inventions brevetables, et non des découvertes. C’est un argument nouveau et un moyen détourné de breveter le vivant.
Quelle est la prochaine étape ?
On tend vers la fabrication d’une cellule synthétique complète. Il doit être possible de reconstituer, à partir de lipides, une membrane ressemblant à celles des cellules naturelles et qui serait apte à accueillir un génome.
Par ailleurs, dans le cadre de la recherche en nanotechnologies, on travaille déjà à reproduire, en assemblant des molécules, des « pièces détachées » de la cellule. Comme par exemple le flagelle, un appendice qui sert aux bactéries pour se déplacer.
Bien sûr, on est encore très loin de pouvoir reproduire des cellules d’animaux supérieurs, qui ont un noyau extrêmement complexe. Mais il semble qu’il n’y ait rien d’impossible en matière de biologie synthétique. C’est une affaire de temps.
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour KwantiK !
(1) Résultat publié dans la revue Science le 21 mai