C’est l’une des plus importantes distinctions en mathématiques, décernée jeudi 19 août à l’occasion du Congrès international des mathématiciens qui se tenait cette année à Hyderabad (Inde). Elle a également été attribuée au français d’origine vietnamienne Ngô Bảo Châu.
Directeur de l’Institut Poincaré et professeur à l’Ecole normale supérieure de Lyon, Cédric Villani, 36 ans, fait partie des mathématiciens les plus en vue. Il avait accordé une interview à KwantiK ! lors du Festival d’astronomie de Fleurance, et livre aujourd’hui ses premières impressions.
Vous venez de recevoir la médaille Fields, pour vos « preuves de l’amortissement de Landau non linéaire et la convergence vers l’équilibre dans l’équation de Boltzmann ». (voir encadré) Que représente pour vous cette distinction ?
J’en suis très fier. Elle représente, comme tout les prix qui ont été décernés, beaucoup d’efforts et de nuits blanches. La médaille Fields est remise aux chercheurs de moins de 40 ans. A ce titre, elle constitue un encouragement à poursuivre les travaux engagés, mais aussi à guider les plus jeunes, auprès desquels on devient une sorte d’ambassadeur.
Quelle place la France occupe-t-elle en mathématiques dans le jeu scientifique mondial ?
Si l’on en croit certains indicateurs, la France se classe en deuxième position derrière les Etats-Unis. Il s’agit notamment du nombre de conférenciers présents dans les congrès, soit qu’ils donnent des conférences plénières, soit simplement invités. L’effectif des Français est important.
Les prix sont aussi un indicateur. Les Français ont notamment reçu 11 médailles Fields, le dernier était Wendelin Werner en 2006. Plus récemment, le prix Abel a été créé, qui vise à récompenser des mathématiciens pour l’ensemble de leurs travaux. Le Français Jean-Pierre Serre l’a reçu en 2003.
A quoi attribuer cette excellence ?
Il y a bien sûr une longue tradition mathématique, avec les Fermat, Fourier, Monge, Galois et aussi Poincaré, dont les travaux reviennent beaucoup dans l’actualité, avec notamment la démonstration de sa conjecture par le Russe Grigoriy Perelman. On peut aussi citer le groupe Bourbaki, auquel appartient Jean-Pierre Serre, un collectif de mathématiciens actif depuis les années 50, qui a donné une nouvelle vision des mathématiques sur des bases solides.
Et la spécificité de la formation joue un rôle non négligeable : si les Français ne sont pas très bons jusqu’au lycée, les classes préparatoires, malgré tous les reproches qu’on peut leur faire, boostent les meilleurs élèves en mathématiques.
Vous avez également reçu en mai dernier le prix Fermat remis par la Région Midi-Pyrénées et l’Institut de Mathématiques de Toulouse (IMT)
Oui, ce prix est maintenant bien coté sur le plan international. Il récompense des travaux réalisés dans les domaines proches des centres d’intérêt de Fermat : théorie des nombres, probabilités, calculs des variations, etc.
A propos de l’Institut de Mathématiques de Toulouse, je dois dire que j’ai été très influencé par un chercheur, Michel Ledoux. L’un de mes premiers résultats importants m’est venu en lisant un de ses cours. A l’IMT, on trouve beaucoup d’autres mathématiciens de grande qualité.
Dans quels domaines des mathématiques la France se distingue-t-elle ?
On peut citer la théorie des nombres, les probabilités, les équations aux dérivées partielles, sur lesquelles je travaille. En théorie des nombres, la notoriété est telle qu’on peut même se permettre de publier en langue française dans des revues de rang international, ce qui n’arrive jamais dans les autres disciplines !
Ces bons résultats sont-ils connus du public ?
Ils sont peu visibles, notamment à cause du problème de la vulgarisation des mathématiques. Cette activité a pendant longtemps été peu considérée par les mathématiciens, même si les choses ont un peu changé depuis quelques années.
Il leur a fallu longtemps pour admettre qu’il doivent être légèrement réducteurs pour faire comprendre leurs travaux. Or, en mathématiques, la notion de preuve est très développée, avec une explication très structurée sur le plan logique.
Comment peut-on vulgariser les mathématiques ?
Il ne faut pas hésiter à prendre des exemples dans l’environnement, à faire des comparaisons. Ainsi, en physique, les équations aux dérivées partielles permettent de modéliser de nombreux phénomènes, comme la propagation d’une onde ou l’écoulement d’un fluide.
Mais dire seulement que les maths ont une application dans un domaine donné est réducteur. Le mathématicien ne pense pas « application ». Son quotidien, c’est de comprendre en profondeur. Ce qui compte pour lui, c’est la beauté, « l’élégance » d’une démonstration, lorsque les différentes parties se répondent de façon harmonieuse, comme en musique. Et le fait que cette démonstration comporte un élément de surprise qui en fait toute l’originalité. Ceci est parfois difficile à transmettre au public.
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour KwantiK !
Cédric Villani pour les nuls…
Amortissement Landau ? Équation de Boltzmann ? Pas de panique ! Pour tous ceux qui n’ont pas dépassé les équations du second degré, l’excellent site « Images des mathématiques » du CNRS publie un article (traduit) de la journaliste américaine Julie Rehmeyer qui explique les travaux de Cédric Villani de manière claire et accessible