Le lundi 22 mars est la Journée Mondiale de l’eau. A Toulouse, José-Miguel Sánchez-Pérez et son équipe au laboratoire d’Ecologie Fonctionnelle – Ecolab (CNRS-Université Paul-Sabatier, INP Toulouse), tentent de mieux comprendre les phénomènes de pollution qui se produisent lors des crues sur les affluents de la Garonne, et coordonnent le projet Aguaflash qui vise à fournir un diagnostic fin et localisé des risques de pollution des eaux de surface sur les bassins versants du sud-ouest européen.
Cette année, le thème de cette journée mondiale de l’eau est : « De l’eau propre pour un monde en bonne santé ». Que peut-on dire de la qualité de l’eau dans le monde aujourd’hui ?
Elle se détériore, du fait des rejets des activités agricoles et industrielles dans les pays développés. Il faut ajouter à cela le fait que l’agriculture intensive arrive dans les pays émergents. Elle utilise des engrais et des pesticides dont certains sont interdits en Europe. Enfin, ces mêmes pays connaissent souvent de gros problèmes d’assainissement.
Comment sait-on si une eau est de qualité ?
Il n’y a pas de réponse simple à cette question, car cela dépend des normes appliquées. En général, une eau est de bonne qualité si certains seuils, par exemple en nitrates, pesticides, ou métaux lourds ne sont pas dépassés.
Un autre bon indicateur est la faune des cours d’eau, qui est sensible aux pollutions : mollusques, insectes, vers, crustacés… Plus la biodiversité est importante, plus l’eau est de qualité. Mais ces indicateurs ne prennent pas en compte le problème des pics de pollution lors des crues.
En quoi les crues des rivières posent-elles un problème de pollution ?
Notre équipe étudie les bassins versants et notamment celui de la Save, un affluent de la Garonne situé près de Toulouse. Lorsque la rivière est en crue, elle charrie des particules en suspension. Or, certaines molécules de polluants comme les pesticides ont pu s’y fixer.
Ces particules polluées s’ajoutent alors aux molécules déjà dissoutes dans l’eau. Du coup, la quantité de pesticides présents dans l’eau de la Save peut atteindre 5 microgrammes par litre, quand le seuil fixé par les normes européennes est à 0,5. Et la crue peut durer 5 à 6 jours. L’eau polluée se déverse alors dans la Garonne, de même que celle des autres affluents.
La Garonne est-elle polluée par les crues de ses affluents ?
Il peut y alors avoir des pics de pollution par les pesticides dans la Garonne à certains moments. Mais ils sont difficiles à caractériser car la masse d’eau est énorme et donc l’eau des affluents est diluée et coule vite. Dans l’eau analysée, on retrouve les molécules cherchées lorsque leurs concentrations dépassent les seuils de détection des appareils de mesure, mais souvent elles se trouvent à l’état de traces et pas forcément détectables.
Le bassin de la Save est un des sites retenus pour le projet Aguaflash. En quoi consiste ce projet ?
C’est un programme interrégional financé par des fonds européens qui se déroulera jusqu’en mars 2012. Il inclut le bassin de la Save, près de Toulouse, un site au Pays basque espagnol, un en Aragon et un au sud du Portugal. Pour les cours d’eau concernés, on étudie la texture du sol, les pentes sur lesquelles l’eau de pluie ruisselle, les différentes cultures avec les intrants (engrais, pesticides) qu’elles nécessitent, la météorologie…
Ces données nous permettent d’affiner nos modèles numériques. L’objectif est de construire un système expert qui permette de déterminer les risques de pollution d’un cours d’eau du sud ouest européen et de voir sur quel point on peut agir pour diminuer les risques de pollution de l’eau. Cette pollution a un effet sur les écosystèmes, mais peut aussi poser problème au niveau des zones de pompage destinées à l’eau potable.
A qui est destiné l’outil Aguaflash ?
Aux gestionnaires de l’eau. Actuellement, les agences de bassin, comme Adour-Garonne, n’ont pas suffisamment d’indicateurs de qualité répartis tout au long des cours d’eau. L’idée, avec Aguaflash, c’est de multiplier les points de mesure et donc de pouvoir agir localement en cas de problème.
Ainsi, on pourrait demander aux agriculteurs d’un secteur bien localisé de stopper temporairement leurs apports en nitrates ou pesticides pour une période de temps ciblée, sans obliger tous les agriculteurs de la région à faire de même.
On pourrait aussi mieux gérer le pompage, en l’interrompant pendant les périodes de crue, pour éviter un risque de pollution de l’eau potable. Aujourd’hui, pour prendre l’exemple de la Garonne, les quantités de pesticides détectées sont bien en dessous des seuils. Cependant on les retrouve en permanence en très faible quantité. C’est cela qui, à mon sens, finira par poser un problème dans l’avenir.
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour Kwantik !
Ecolab
Aguaflash
Des chiffres alarmants
Selon les Nations Unies, 1,1 milliard de personnes vivent sans système d’eau courante moderne et 2,5 milliards sans assainissement. Dans les pays en voie de développement, jusqu’à 90% des eaux usées domestiques et 70 % des effluents industriels seraient rejetés dans la nature sans traitement, contaminant gravement les cours d’eau, les puits et les nappes phréatiques. Un des « objectifs du millénaire » fixés lors d’un sommet en l’an 2000 était de de diviser par deux le nombre de personnes n’accédant pas à une eau saine d’ici 2015. Il ne sera pas tenu.