Quand la biologie rencontre la robotique, les échanges peuvent être fructueux. Une équipe de biologistes du Laboratoire d’Ingéniérie des Systèmes Biologiques et Procédés (1) dirigée par Magali Remaud-Siméon, a adapté, pour ses recherches, un logiciel de robotique élaboré au LAAS (2) destiné à planifier les trajectoires des robots. L’idée est simple : considérer les molécules comme des robots.
L’objectif est de comprendre comment on peut éliminer, grâce à des enzymes, les énantiomères qui apparaissent inévitablement pendant la fabrication de la plupart des médicaments. Les énantiomères sont deux types de molécules, composées par les mêmes atomes, mais non superposables (l’une est l’image de l’autre dans un miroir). L’une des deux constitue le médicament voulu. L’autre, inactive sur le plan thérapeutique, peut en plus se révéler nocive. Le scandale de la thalidomide (3), en 1960, en a été une triste illustration. Depuis, il est essentiel aux laboratoires de pouvoir tirer le bon grain de l’ivraie.
Des calculs puissants et rapides
Comment faire ? Lors de la fabrication des molécules thérapeutiques, il existe une voie principale, dite « chimique », et une autre, biologique, qui utilise des enzymes ayant la capacité à sélectionner les énantiomères.
Grâce au logiciel élaboré du LAAS, la connaissance de ce dernier mécanisme vient de marquer une étape importante : la représentation des trajectoires possibles par lesquelles l’énantiomère pénètre à l’intérieur de l’enzyme est faite rapidement et avec précision. Un phénomène qui était jusque là difficile à appréhender avec les méthodes classiques de modélisation, qui de surcroit génèrent des calculs informatiques très lourds.
Des procédés moins polluants
Les biologistes vont alors modifier les enzymes afin d’optimiser leur capacité à sélectionner les énantiomères indésirables.
« L’un des objectifs est le développement, à façon, des enzymes permettant d’épurer la composition des médicaments. Une voie qui sera beaucoup plus écologique et économique pour les laboratoires », imaginent Isabelle André (CNRS) et Sophie Barbe (INRA) associées au projet (4).
En effet, se débarrasser des énantiomères par voie chimique implique d’utiliser des réactifs toxiques. Et si on ne peut pas les éliminer complètement, il faut prouver par des tests cliniques coûteux qu’ils ne sont pas nocifs. « Dans le futur, les voies enzymatiques et chimiques seront complémentaires », conclut Magali Remaud-Siméon.
Frédéric Dessort, pour Kwantik !
(1) Situé à l’INSA de Toulouse, le Laboratoire d’Ingéniérie des Systèmes Biologiques et Procédés est une Unité Mixte de Recherches sous tutelle de l’INSA, de l’INRA et du CNRS. Il compte un total de 217 collaborateurs
(2) Un logiciel conçu dans le cadre du projet « Algorithmique du Mouvement et des interactions Macromoléculaires », financé par l’Institut des Technologies Avancées du Vivant. Il associe le LAAS au CNRS, à l’UPS, l’INSA, l’INRA, et l’INSERM
(3) Le mauvais énantiomère de ce médicament, destiné aux femmes enceintes pour lutter contre les nausées, avait causé la malformation de nombreux fœtus.
(4) L’ensemble de ces résultats a fait la une de l’édition du 23 novembre de la revue scientifique européenne « Chembiochem ».