Éliminer près de 5000 tonnes de poudre pour obus immergées dans quatre étangs aux portes de Toulouse… Voici le casse-tête auquel est confronté la DGA (Direction générale de l’armement) qui organisait le jeudi 14 octobre une rare opération de communication sur le site, avec la volonté affichée de jouer la transparence sur ce dossier.
Les « ballastières » de Braqueville, à deux pas du nouveau Cancéropôle route d’Espagne, sont une zone d’une riche biodiversité classée Natura 2000. La faune y est tranquille, et pour cause : le site est contrôlé par l’armée qui en interdit l’accès au public.
En effet, les étangs en question ont accueilli les excédents de poudre produits par l’usine toute proche, la « poudrerie » toulousaine qui tournait à plein pendant la Première guerre mondiale et qui avait continué sur sa lancée après la fin du conflit.
Quelle quantité réelle ?
Le matériau se nomme nitrocellulose et a été conditionné principalement sous forme de bandelettes. « Le stock a été estimé dans un premiers temps à 40000 tonnes par la sécurité civile, mais nous n’avons pas validé cette estimation. Le stock représente en fait, selon nos études, entre 4200 et 5800 tonnes », souligne l’ingénieur général Marie-France de Roodenbeke, de la DGA, sans expliquer clairement ce qui a conduit à cette forte révision.
« Nous ne savons pas quelle a été la méthodologie de la première estimation, et nous n’avons pas les moyens de faire mener une étude indépendante », regrette ainsi Rose Frayssinet, de l’association écologiste Les amis de la Terre, invitée à visiter le site.
Quelques bandelettes se sont échappées de leurs caisses et se sont déposées sur les berges des étangs. « Ces bandelettes peuvent prendre feu, mais il faudrait pour cela qu’elles soient sorties de l’eau, et entassées en grande quantité », assure Frédéric Péchoux, de la DGA.
Dans les années 70, près de 10000 tonnes de poudre avaient déjà été extraites du site, mais dans de mauvaises conditions, et brûlées sur place, ce qui dégage des polluants comme les oxydes d’azotes. Avec les normes environnementales actuelles, impossible de procéder de la sorte. La DGA, qui a repris le site en 2004 et qui effectue régulièrement des contrôles, envisage aujourd’hui trois options.
Le feu, les bactéries ou… le statu-quo
* Première option : l’incinération
Pour cela, il faut extraire les poudres, les broyer sous un jet d’eau pour éviter qu’elles ne s’enflamment et les inactiver (les empêcher de former une masse inflammable) en les mélangeant avec du sable. Ensuite, il faut incinérer le mélange et retraiter les gaz émis. « Il faudrait mélanger 1kg de poudre avec environ 9kg de sable. Ce seraient donc près de 50000 tonnes qu’il faudrait traiter », estime André Savall, professeur à l’université Paul-Sabatier et président du SPPPI, la structure qui organise la concertation entre tous les acteurs.
Un seul site de la DGA, près d’Angoulême, est capable d’incinérer un tel mélange. Vu la distance et les plus de 1500 semi-remorques qui seraient nécessaires, le scénario est peu probable. Il faudrait donc construire une usine sur place ou non loin du site toulousain. Avec à la clé un coût très élevé. « On parle de dizaines de millions d’euros » souligne André Savall.
* Deuxième option : la dépollution par des bactéries
Dans l’eau, les bandelettes de nitrocellulose sont colonisées par des bactéries. Il est probable que certaines d’entre elles consomment ou dégradent le matériau des bandelettes. « L’objectif est de favoriser l’action de ces bactéries, de les mettre dans les conditions idéales pour qu’elles consomment le produit le plus efficacement possible », explique Frédéric Péchoux.
Il faudra faire des analyses bactériologiques pour dénicher la bactérie miracle, suivies de tests sur de petites quantités, avant de passer éventuellement à un traitement complet du mélange broyé et inactivé, dans de grands tertres constitués sur le site.
* Troisième option : laisser le site en l’état
Au vu de la facture qui s’annonce, la DGA pourrait être tentée de laisser le site en l’état, sous surveillance permanente comme aujourd’hui, et n’exclut pas cette option. Sous l’eau, les bandelettes de nitrocellulose ne présentent a priori pas de danger.
Mais le statu-quo serait difficilement accepté par les associations qui œuvrent pour la protection de l’environnement. « Et il ne faut pas compter sur une dégradation spontanée des bandelettes, qui serait extrêmement lente », prévient André Savall. Rose Frayssinet craint des mises à feu spontanées des bandelettes parvenues sur les berges en cas de forte sécheresse, ou au contraire une dissémination du stock en cas de forte crue de la Garonne toute proche.
Un site jamais ouvert au public ?
Un marché a été passé auprès d’un consortium d’entreprises pour évaluation de la faisabilité et du coût des différences solutions. Les conclusions seront connues fin 2012, pour une prise de décision en 2013, selon la DGA.
« Si on voulait rouvrir le site aux promeneurs, aux familles, il faudrait un tel niveau de dépollution qu’on dénaturerait complètement le site et que le coût serait exorbitant », note cependant Guillaume Porte, de l’antenne DGA de Toulouse qui gère le site. Les canards et autres oiseaux d’eau qui peuplent les ballastières vont donc continuer à vivre en paix, car il est peu probable qu’on puisse un jour les contempler. A moins, bien sûr, que la DGA ne parvienne à pousser les collectivités à mettre la main au portefeuille.