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« On ne connaît que la moitié de la grotte de Lascaux »

En France, l’étude de l’art pariétal du Paléolithique supérieur (-40.000/-11.000 av. J.C) est en perte de vitesse. Sites fermés, manque de moyens et de chercheurs caractérisent aujourd’hui l’une des spécialités de la recherche française en archéologie. Kwantik ! a rencontré Carole Fritz de l’équipe Traces (CNRS/Université Toulouse-Le Mirail), cofondatrice du Centre de Recherche et d’Etudes pour l’Art Préhistorique – Emile Cartailhac (CREAP).

Carole Fritz. Crédit DRAujourd’hui, reste-t-il encore quelque chose à découvrir sur l’art pariétal ?

Énormément de choses ! Par exemple, on ne connaît aujourd’hui que la moitié de la grotte de Lascaux ! Les seuls relevés qui en ont été faits sont dus à l’abbé André Glory entre 1952 et 1963. C’est un bon travail, mais qui ne correspond plus aux attentes de la recherche actuelle.

Nous travaillons principalement à partir de livres et de photographies, alors qu’il nous faudrait retourner dans des grottes comme Lascaux, faire des relevés graphiques des parois ornées. Cela vaut mieux que le flash d’un appareil photo, qui « écrase » l’image de la paroi. Quand on observe des ornements ou des reliefs à la lumière d’une bougie, d’autres détails se révèlent !

Que peuvent nous apprendre ces grottes sur nos lointains ancêtres ?

Ce qui nous intéresse au CREAP, c’est de comprendre pourquoi la gamme thématique des représentations, comme les bisons, les chevaux et les bouquetins, est restée la même… pendant 30.000 ans ! Si le choix de représenter ces animaux n’a pas varié pendant tout ce temps, c’est parce qu’il s’appuyait sur des structures sociales stables.

Grâce aux études de correspondances stylistiques d’une grotte à l’autre entre plusieurs représentations d’un animal, par exemple de l’Aquitaine au nord de l’Espagne en passant par le Midi-Pyrénées, on peut ainsi mettre en évidence les circulations de populations et leurs échanges culturels.

Que pensez-vous de l’annonce de l’archéologue américain Jess Cooney, de l’université de Cambridge, qui affirme que certaines figures simples (tracés digitaux) relevés dans la grotte de Rouffignac (Dordogne) ont pu être faites par des enfants entre 3 et 7 ans ?

C’est un effet d’annonce ! Et un vieux sujet, qui revient fréquemment. Cela fait des années qu’on étudie les tracés digitaux, et rien ne peut déterminer que cela a été fait par des enfants. Alors, parce que c’est une figure simple, ce serait forcément fait par un enfant ? Nous savons très bien que ce type de dessin existe dans les sociétés dites « primitives » encore aujourd’hui, où ils sont aussi produits par des adultes.

Tout dépend du statut que vous donnez à ce dessin : dans la pratique de l’art pariétal, l’interaction entre ce dessin et le reste des figures sur la paroi est complexe. Nous devons encore travailler dessus !

Comment alors en apprendre plus ?

Il faut établir un corpus des représentations, faire des relevés graphiques sur le terrain et former des équipes. Cela coûte cher et cela prend du temps ! Or, nous manquons de moyens. Cela fait ainsi 14 ans que l’on travaille sur la grotte ornée de Marsoulas, en Haute-Garonne…

Aujourd’hui, je suis la seule chercheuse du CNRS sur tout le territoire national à me consacrer à l’art paléolithique. Et au CREAP, nous n’avons aucun chercheur titulaire : la majorité sont de jeunes thésards et post-doctorants, qui cherchent des postes d’enseignants ou se réorientent. Quant aux chercheurs associés au CREAP, ils ont souvent un emploi à côté, comme artiste ou réalisateur de documentaires…

Propos recueillis par Simon Castéran, pour Kwantik !

ARIANE : la préhistoire par l’image

Afin d’aider les jeunes chercheurs de l’université de Toulouse – Le Mirail dans leur travail de documentation, la base de données ARIANE (pour Art Rupestre : Iconographie et Archéologie par Navigation Electronique) a été développée par Georges Sauvet, un chercheur associé du CREAP. Elle permet de naviguer à travers plus de 16.000 images d’art pariétal et de mobilier issus de 369 sites d’art et de plus 500 gisements européens. Partant d’un plan de la grotte, l’usager zoome sur les parois où sont répertoriées les figures d’art pariétal, auxquelles sont attachées un descriptif bibliographique.

En plus de la numérisation de la documentation (livres, photographies), ARIANE est nourrie par le travail des thésards du CREAP. Cela permet notamment de faire un travail statistique direct : ainsi, l’analyse factorielle de correspondances permet de comparer les caractéristiques d’un même objet sur différentes grottes de France, d’Espagne, d’Europe centrale et de Russie.