Une proportion non négligeable des quantités de médicaments que nous ingérons n’est pas utilisée par notre organisme. Résultat : antibiotiques, hormones, anti-inflammatoires… se retrouvent, par excrétion, dans les eaux usées domestiques et celles des hôpitaux. En quelle quantité ? Présentent-ils un danger ?
« On en est encore au constat. Peu d’études ont été faites, et les cas où ils ont été détectés dans l’eau potable sont très rares. Mais un impact sur la santé est possible, et des tests de toxicité sur l’environnement ont été faits en laboratoire » souligne Claire Joannis-Cassan. Chercheuse au Laboratoire de génie chimique (LGC) de Toulouse, elle mène actuellement le projet « BioMedBoue » (*), financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Il vise à terme à épurer plus efficacement les eaux usées d’une catégorie particulière de médicaments : les anticancéreux.
Les anticancéreux : peu abondants mais très toxiques
« En Europe, leur consommation augmente de près de 10% par an. Certes, ils ne représentent que 3% des médicaments retrouvés dans l’eau. Mais ils sont très toxiques, et on ne sait pas s’ils se combinent avec d’autres molécules, que ce soient les médicaments ou les détergents utilisés dans les hôpitaux », explique la jeune chercheuse.
Les stations d’épuration classiques ne permettent pas toujours d’éliminer efficacement les médicaments, car le temps de contact entre les « boues », c’est-à-dire des agrégats de bactéries qui assurent le travail d’épuration, et les molécules de médicament n’est pas assez long.
La solution, étudiée au LGC, c’est le bioréacteur à membrane. Percée de minuscules pores, celle-ci retient les boues et laisse passer les petites molécules dans l’eau qui peut être réinjectée dans le circuit. Résultat au bout de 48 heures : le taux de molécules d’anticancéreux rejeté diminue de 75%.
Mais les molécules de médicament sont-elles dégradées, ou simplement absorbées ? La différence est de taille, car il faudra ensuite éliminer les boues, ce qui peut se faire par épandage. Le projet BioMedboue, qui s’étale de 2009 à 2011, vise à répondre à cette question. Il implique notamment la mise au point de méthodes de détection particulièrement fines de ces molécules, dont l’analyse est aujourd’hui très difficile.
Un prototype de 1m3 testé sur quatre ans
Principe de précaution oblige, les résultats de projets comme BioMedboue n’ont pas été attendus pour démarrer une expérimentation. Le LGC mène le projet Panacee, également financé par l’ANR et labellisé par les pôles de compétitivité Cancer-bio-santé et Eau. Il consiste à améliorer le procédé de bioréacteur à membrane. Il concerne les anticancéreux, mais aussi d’autres molécules, comme les antibiotiques et les détergents.
A partir du mois d’octobre, et pour une durée de quatre ans, un prototype sera testé sur les sites de l’hôpital Purpan au CHU, et au centre Claudius-Regaud.
« Avec sa capacité de 1m3, ce bioréacteur permettra de traiter l’équivalent des rejets quotidiens de cinq lits, précise Claire Albasi, co-responsable du département Bioprocédés et systèmes microbiens (BioSYM) au LGC. Et pour affiner encore l’épuration, nous mettrons en œuvre sur les effluents traités d’autres techniques, comme par exemple l’oxydation ».
A noter que pour l’élimination des résidus de médicaments, il existe d’autres approches que le bioréacteur à membranes, comme le lagunage des effluents avec des plantes épuratives. A terme, les établissements hospitaliers devront choisir la meilleure solution. Car les exigences de plus en plus strictes liées à la qualité de l’eau, notamment au plan européen, devraient les contraindre à se doter de systèmes d’épuration adaptés à leurs rejets.
Jean-François Haït, pour KwantiK !
(*) Le projet BioMedBoue est mené en partenariat avec le Laboratoire de chimie agroindustrielle (INRA-Université de Toulouse) et le Laboratoire de biotechnologie de l’environnement (INRA Narbonne)