Le Parlement doit voter ce printemps la révision de la loi de bioéthique. Pour Anne Cambon-Thomsen, médecin et généticienne, qui dirige la plateforme « Génétique et société » à Toulouse, les positions sur les cellules souches embryonnaires et sur l’information aux familles en cas de maladie génétique devront être clarifiées.
La loi de bioéthique doit être révisée tous les 5 ans, et ce sera le cas au printemps 2010. Quels seront les grands sujets qui seront débattus au Parlement ?
Incontestablement, les cellules souches embryonnaires seront au cœur du débat. Leur usage à des fins de recherche est interdit, mais des dérogations sont possibles depuis 2005, dans des cas extrêmement précis et sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine : il faut démontrer que ces recherches sont susceptibles d’apporter un bénéfice thérapeutique majeur, et bien sûr l’abandon du projet parental sur les embryons, c’est-à-dire d’une implantation prévue dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, ainsi que le consentement du couple à l’utilisation pour la recherche. Selon l’Agence de la biomédecine, 36 équipes de chercheurs en France ont eu une autorisation pour utiliser ces cellules souches embryonnaires entre 2005 et la fin 2008.
Quelle position pourrait être adoptée sur les cellules souches embryonnaires ?
Il y a deux possibilités : soit on continue à interdire la recherche sauf dérogation, et c’est ce que propose, avec quelques aménagements, la mission parlementaire sur la bioéthique menée par Jean Léonetti en préparation de ces débats. La finalité médicale des recherches reste requise, mais sans spécifier de bénéfices thérapeutiques importants qui vont, à mon sens au delà de l’honnêteté intellectuelle. Soit on autorise la recherche sur les cellules souches, mais de façon très encadrée. Derrière ces deux possibilités, c’est en fait le statut de l’embryon qui va être discuté…
Le dépistage des maladies génétiques est maintenant répandu. Cela pose-t-il des problèmes particuliers ?
Oui, par exemple celui du secret médical dans la famille. Aujourd’hui, si un médecin dépiste chez quelqu’un une maladie génétique grave, il peut conseiller au patient d’informer sa famille dont certains membres pourraient être atteints. Le patient doit signer un papier reconnaissant qu’il a été mis au courant, mais il peut choisir de ne pas diffuser cette information, sans être tenu responsable de conséquences éventuelles, et le médecin n’a bien sûr pas le droit de violer le secret médical.
Comment faire pour informer la famille ?
La loi de 2004 donne, en théorie, la possibilité à l’Agence de biomédecine d’alerter la famille sur un risque, mais sans identifier le malade. En pratique, cette mesure n’a jamais réellement pu être mise en place. La question qui va se discuter, c’est de savoir si le patient peut être tenu responsable de conséquences de la non information de la famille et si on autorise une levée du secret médical dans des cas précis, même contre l’avis du patient. Cela se pratique dans d’autres pays. Mais le risque, c’est d’ouvrir une brèche, même minime, dans le secret médical, qui risquerait de s’élargir.
D’autres questions font actuellement débat : accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples homosexuels, anonymat des donneurs de gamètes, mères porteuses…
Il est intéressant de constater que la loi de bioéthique concerne aussi bien des questions scientifiques, éthiques, que de société. Le débat sur l’AMP revient à discuter ce qu’est la famille aujourd’hui. Celui sur la possibilité pour un enfant issu d’un don de gamètes de pouvoir rechercher son géniteur est en fait la quête de ses origines… A la plateforme « génétique et société », nous avons comparé les positions de différents acteurs ou institutions sur ces sujets (lire encadré) et elles sont parfois divergentes, voire inattendues. Le Sénat, par exemple, se prononce pour l’autorisation d’avoir recours à des mères porteuses dans des cas particuliers, alors que c’est totalement interdit en France aujourd’hui !
Propos recueillis par Jean-François Haït, pour Kwantik !
Politiques, scientifiques et grand public n’ont pas toujours la même approche sur les questions de bioéthique… C’est ce que montre le remarquable document réalisé par Gabrielle Bertier, Emmanuelle Rial-Sebbag et Anne Cambon-Thomsen au sein de la plateforme « Génétique et société ». Il met en regard les positions de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, du Comité Consultatif national d’éthique, du Conseil d’Etat, de l’Agence de biomédecine et des Etats généraux de la bioéthique (débats qui avaient impliqué le grand public en 2009). Un panorama passionnant des consensus, des impasses et des désaccords sur les grands problèmes que mettent au jour les avancées scientifiques.