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Bertrand Nogarède : à fond la science, un œil dans le rétro

Electrodynamicien à l’ENSEEIHT, Bertrand Nogarède est un chercheur atypique, qui puise son inspiration dans « les angles morts de la science ». Passionné de la mythique Citroën DS et joueur d’orgue, il cherche dans le passé un avenir aux applications de l’électromagnétisme.

Tignasse haute et verbe fort, Bertrand Nogarède ne manque pas de magnétisme. Quotidiennement, ce « quadra » énergique fait l’aller-retour entre Narbonne, où il vit, et Toulouse, où il enseigne l’électrodynamique à l’ENSEEIHT. Autrement dit, les forces et les interactions qui naissent du courant électrique, comme par exemple les champs magnétiques.

Dans son bureau du « Grem3 » du Laboratoire plasma et conversion d’énergie (Laplace) (1), Bertrand Nogarède veut encore croire que les équations de Maxwell, qui décrivent l’électromagnétisme depuis la fin du 19e siècle, « sont tellement bonnes qu’elles peuvent nous permettre de faire de nouvelles découvertes ! ». En revanche, il conteste le terme d’électrodynamicien. Se proclamant « iconoclaste », il se reconnaît surtout comme un « mécano électricien ».

Un peu à la manière des garagistes qui réparent les voitures, comme cette Citroën DS dont il prend jalousement soin. Passionné de cette voiture mythique, il est saisi d’émotion dès lors qu’il soulève son capot. C’est d’ailleurs à l’automobile que Bertrand Nogarède doit, depuis sa plus tendre enfance, sa passion pour les champs magnétiques : enfant, il découvre ces « forces mystérieuses » en jouant avec les aimants que son grand-père extrayait des moteurs de voitures.

Revenir aux carrefours de la science

Mais attention, l’homme n’est « pas du genre à aimer le passé pour le passé ». Ce qui l’intéresse, c’est de retrouver « les mains et l’esprit » des concepteurs de la DS, « de savoir ce qui se passait dans la tête de Paul Magès », créateur du système hydropneumatique de la voiture, « où il y avait peut-être les ferments d’innovations qui sont encore à venir ».

Pour ce chercheur atypique, il en va en effet de la science comme d’une voiture : si performante soit-elle, cela ne l’empêche pas d’avoir des angles morts. L’ambition du pétulant Narbonnais est de « revenir aux fondamentaux, à ces carrefours de la science que nous avons dépassés, en négligeant certaines pistes de recherche ».

Quoi de mieux alors que de revenir aux principes de Mère Nature, dont le succès a « toujours résidé dans la capacité d’un corps à varier de volume »  ? Peu convaincu par le cœur artificiel, Bertrand Nogarède travaille ainsi depuis dix ans avec un chirurgien nantais à un système de pompe cardiovasculaire actionné par un champ magnétique. Ce fils de médecins espère ainsi promouvoir l’assistance circulatoire plutôt que le remplacement du cœur défaillant.

« On prend un petit ballon, et on y glisse un polymère magnéto-actif, du silicone avec une poudre sensible aux champs magnétiques. On introduit le ballon dans l’aorte, et on le pilote grâce à des bobines magnétiques. En fonction du champ, le liquide va se solidifier ou se liquéfier, ce qui crée un effet de pompe dans l’artère ». Même s’il reconnaît que le principe est pour l’instant « assez futuriste », les premiers essais sur des animaux commenceront à l’été prochain.

« Le royaume des idées ne connaît pas de frontières »

Voilà qui ne va pas le raccommoder avec le règne animal. Organiste amateur, Bertrand Nogarède a longtemps joué sur l’orgue de l’église de Saint-Aubin, la nuit. Une passion qui ne dérangeait personne, à part les chiens du quartier, dont les oreilles sont agacées par les hautes fréquences de l’instrument.

En mai 2007, il enregistre un CD, « Orgues en liberté », sur lequel il joue Bach aux claviers de l’orgue de la collégiale Saint-Michel de Castelnaudary. Reconstruit en 1861, il doit sa nouvelle vie à un facteur d’orgues qui s’intéressait également à la physique de l’instrument, et déposa en 1840 un mémoire intitulé « Etudes expérimentales sur les tuyaux d’orgue ». Or, l’académicien Félix Savart, qui étudia son travail, fut également celui qui mesura le champ magnétique avec le physicien Jean-Baptiste Biot et formula l’une des plus fameuses lois de l’électrodynamique ! Un hasard ?

« Les scientifiques du 19e siècle faisaient preuve d’une interdisciplinarité que j’admire, et qui me paraît un peu impossible aujourd’hui, regrette Bertrand Nogarède, car chaque chercheur est très spécialisé dans son domaine ». A son entrée au CNRS en 1990, lui-même a dû convaincre ses pairs de le laisser sortir du seul champ de l’électrotechnique, puis a imposé cette même interdisciplinarité à son équipe dès 1998, convaincu que « le royaume des idées ne connaît pas de frontières ».

Simon Castéran, pour Kwantik !

(1) Grem 3 : Groupe de recherches en électrodynamique, matériaux, machines et mécanismes électroactifs ; Laboratoire Laplace (CNRS-INP Toulouse – Université Paul-Sabatier) : http://www.laplace.univ-tlse.fr/