A l’hôpital Purpan de Toulouse, une équipe de neurochirurgiens cartographie le cerveau de patients éveillés. Objectif : localiser les zones du langage, de l’écriture ou de la lecture afin de ne pas les endommager lors de l’ablation d’une tumeur. Des zones dont la répartition réserve parfois des surprises aux chercheurs.
Un reportage exceptionnel de Patrick Dumas au cœur du bloc opératoire, publié avec l’autorisation de l’agence Look at Sciences.
Une large fenêtre a été ouverte dans le crâne. Le cerveau, d’un blanc laiteux, finement veiné de rouge, apparaît à l’air libre. Âmes sensibles s’abstenir… Le chirurgien stimule une région du cerveau avec une électrode qui envoie un faible courant électrique. Le patient, qui écrivait une phrase sur un tableau présenté par une infirmière, s’interrompt instantanément, ou se met à tracer des mots incohérents.
Vous avez bien lu : le patient écrit… parce qu’il est conscient. Technique d’avant-garde ? Oui et non. « Cette méthode de cartographie cérébrale existe depuis près d’un siècle », explique Franck-Emmanuel Roux, neurochirurgien à l’hôpital Purpan de Toulouse et membre de l’unité Inserm 825 (Inserm/Université Paul-Sabatier).
Cartographier pour mieux préserver
Dissipons un malaise évident : le patient ne souffre pas, tout simplement parce que les méninges qui enveloppent le cerveau et la surface de celui-ci ne sont pas parcourues de nerfs. Une technique d’anesthésie légère, mise au point il y a une vingtaine d’années, suffit à mettre le patient en situation avant de le réveiller.
Le chirurgien peut alors, en appliquant à plusieurs reprises son électrode à différents endroits de la partie exposée du cerveau, localiser et délimiter des zones particulières : celles qui commandent l’écriture, la lecture ou le langage par, exemple. « Les patients sont pour la plupart atteints de tumeurs au cerveau, et nous devons enlever ces tumeurs sans léser ces régions importantes. Nous cartographions ces régions avant d’endormir profondément le patient pour l’opérer », explique Franck-Emmanuel Roux.
La grande variabilité du cerveau
Ce dernier a appris la technique au Canada avant de l’importer à Toulouse, qui est devenue un centre important avec plus de 300 patients opérés en 12 ans. Un échantillon statistique suffisant pour que Jean-François Démonet, neurologue de l’U825, en tire des enseignements précieux sur la localisation des aires fonctionnelles du cerveau.
A l’actif de son équipe, de nombreuses publications. Dont une, dans la revue internationale « Brain » (cerveau) clôt un vieux débat : y a-t-il une ou plusieurs zones du langage chez les personnes bilingues ? « Nous avons montré sur un échantillon de patients qu’il pouvait y avoir chez certaines personnes bilingues deux zones du langage différentes, une pour chaque langue. Il faut donc localiser les deux zones avant d’opérer les personnes bilingues qui ont des tumeurs cérébrales », explique Franck-Emmanuel Roux.
Une preuve de plus que le cerveau n’est pas un organe figé, mais présente au contraire une grande variabilité qui n’a pas fini de réserver des surprises.