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« L’agent orange continue à faire des victimes au Vietnam »

André Bouny, un chef d’entreprise lotois, dénonce dans un livre documenté les ravages persistants des défoliants déversés par l’armée américaine au Vietnam. Malgré près de 40 ans de militantisme et de combat juridique, faire valoir les droits des victimes reste difficile.

Le 5 juin paraît « Agent orange – apocalypse Vietnam » aux éditions Demi-Lune. Cet éditeur a notamment publié plusieurs livres remettant en cause les thèses officielles sur les attentats du 11 septembre, dont l’ouvrage très controversé de Thierry Meyssan, « l’Effroyable imposture ». Cela ne risque-t-il pas de jeter le doute sur la crédibilité votre livre ?

Les grands éditeurs n’auraient pas publié un livre sur l’agent orange, car les grands groupes de chimie, par le jeu d’un actionnariat croisé, peuvent y posséder des parts. Mon éditeur est courageux, et certains des livres sur le 11 septembre posent de vraies questions, mais il a aussi publié des livres sur d’autres thèmes.

Qu’est-ce donc que l’agent orange ?

C’est un mélange de deux herbicides très efficaces, utilisés ordinairement dans les champs et les jardins, mais à des doses beaucoup plus fortes, qui a été produit spécifiquement pour la guerre du Vietnam, essentiellement par des grands groupes de chimie américains.

Il a été baptisé ainsi car les containers dans lequel on le stockait portaient une bande orange. Largué par avion, il a servi à détruire le couvert végétal pour débusquer les combattants Viêt-Cong.

En quoi l’agent orange est-il dangereux ?

Sa fabrication génère un sous-produit, une dioxine. Ces molécules sont extrêmement toxiques. Elles sont volatiles, pénètrent dans la peau, peuvent être inhalées et surtout ingérées, car elles se fixent dans les graisses des animaux, dans le lait et les œufs. De plus, elles sont très stables dans le temps.

Dans le livre, je publie un document confidentiel d’un laboratoire qui montre qu’en juin 1965, les scientifiques qui travaillaient pour les fabricants étaient conscients de la dangerosité de la dioxine. Mais les grands groupes de chimie ont décidé de se taire, car les enjeux économiques étaient trop importants.

En quelle quantité l’agent orange a-t-il été répandu au Vietnam ?

On peut estimer que près de 100 millions de litres d’agent orange ont été répandus, et que l’équivalent de deux fois la surface de la Suisse a été arrosé de défoliants. Le problème est qu’avec les moussons et le réseau hydrographique très dense du Vietnam, le poison se diffuse partout.

Tout le pays est plus ou moins touché, avec des points chauds où les quantités sont très élevées, comme sur les sites des anciennes bases américaines, massivement défoliées pour ne pas être attaquées. Mais il y a aussi des points chauds très localisés : il suffit par exemple qu’un avion se soit écrasé près d’un village et ait répandu son contenu de désherbants.

Quelles sont les conséquences pour la santé de la population ?

L’Académie des sciences américaine elle-même a fait la liste des maladies directement attribuées à l’agent orange, et d’autres dans lesquelles il est fortement soupçonné. Il provoque des chloracnés, maladies de peau très défigurantes, certains cancers, et a des effets tératogènes, c’est-à-dire qu’il provoque des anomalies lors du développement du fœtus.

Dans les points chauds que j’évoquais, il y a un taux très élevé de malformations chez les enfants dont les parents ont été exposés à l’agent orange.

Votre ouvrage fait une large part aux « tranches de vie » de ces enfants victimes de malformations…

J’en ai rencontré beaucoup, notamment dans les « Villages de la paix », des maisons spécialisées conçues pour les accueillir. Ces enfants n’ont parfois pas de membres, pas d’yeux, et souvent de forts retards mentaux.

J’ai travaillé avec plusieurs photographes pour illustrer l’ouvrage. Nous avons choisi de montrer ces enfants difformes sur leurs lieux de vie. Mais ce ne sont pas des images indignes ou dégradantes pour eux, l’objectif n’était pas de faire un livre choc.

Plusieurs procès ont été intentés par les victimes. Où en est-on aujourd’hui ?

Les victimes n’ont pu attaquer ni le gouvernement ni l’armée américaine, car la constitution des Etats-Unis ne le permet pas. Elles ont alors intenté une action contre les fabricants de produits. Mais le gouvernement américain a exercé de fortes pressions.

Au final, la Cour Suprême a rejeté l’appel des victimes. Un tribunal d’opinion s’est tenu à Paris en mai 2009, qui a condamné les Etats-Unis et les firmes chimiques. Mais la sentence est symbolique, elle ne peut être appliquée.

Est-il possible de connaître exactement le nombre de personnes touchées ?

Probablement entre un et deux millions de personnes. Mais il y a clairement un problème d’épidémiologie. Le Vietnam n’a pas les moyens de faire un réel état des lieux. Les Etats-Unis ont refusé de faire toute étude épidémiologique au Vietnam, alors qu’ils l’ont faite pour leurs vétérans.

Des médecins vietnamiens se sont attelés à la tâche, mais les Etats-Unis exigent des données scientifiques présentées selon les normes internationales. Ceci dit, les maladies observées par ces médecins vietnamiens ont fini par rejoindre la liste établie par l’Académie des sciences américaine.

Des solutions existent-elles pour contrer les effets de l’agent orange ?

Oui. Des scientifiques sud-coréens ont ainsi montré que certaines bactéries sont capables de consommer la dioxine. Mais le séquençage de leur génome est difficile, or il faudrait sans doute pouvoir les modifier génétiquement pour pouvoir les utiliser de façon massive.

Pour traiter les personnes contaminées, il y a l’espoir suscité par le resvératrol, un composé extrait d’un champignon de la vigne qui permettrait d’éliminer les dioxines de l’organisme. Mais tout cela n’en est qu’au stade de la recherche.

En attendant, l’important est d’informer les populations locales, pour les dissuader de cultiver certaines zones ou de consommer certains produits. Et aussi d’informer l’opinion internationale. Le public ne sait pas très bien ce qu’est l’agent orange. Au Vietnam, il continue pourtant à faire des victimes.

Propos recueillis par Jean-François Haït, pour KwantiK !